La
bataille des chiffres entre organisateurs et police est un classique. A
l'origine pourtant, c'était simple : pour avoir une idée assez précise de
l'ampleur d'un cortège, il suffisait de faire une moyenne entre le nombre de
manifestants recensés par les organisateurs et le décompte de la police.
En général, le résultat s'approchait de la réalité. Sauf que la surenchère lancée par Frigide Barjot après la manif contre le mariage pour tous a faussé les règles du jeu. La voilà qui hurle au complot, dénonce les photos aériennes truquées, oblige les autorités à se justifier et menace de procès.
En annonçant presque 1 million et demi de participants à la Manif pour Tous du 24 mars dernier, alors que la préfecture concédait 350 000 personnes, elle a fait voler en éclats le gentlemen's agreement qui permettait jusqu'ici aux militants de gonfler leurs chiffres en gardant un semblant de crédibilité, et aux forces de l'ordre de les minimiser sans que personne n'y trouve à redire.
Lors de grands mouvements de contestation de ces dernières années, le rapport entre le chiffre des organisateurs et celui des autorités tourne autour de 2,35. Je t'explique : quand la police voit 1 manifestant, les syndicats en voient 2,35. A moins que les objectifs politiques du pouvoir et des organisateurs vont dans la même sens : en 2002, lors des défilés du 1er Mai en réaction à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, les syndicats annonçaient 1,3 millions de personnes et la police, alors dirigée par Jacques Chirac, comptait 900 000 personnes, soit un rapport de 1,4.
En revanche en cas de tension, le ratio est plus élevé et augmente à mesure que le mouvement se prolonge. D'un côté, les manifestants veulent prouver que leur mobilisation ne faiblit pas, de l'autre, le pouvoir entend pointer l'essoufflement de la contestation.
Les méthodes de décompte, pourtant similaires, permettent aux uns d'ignorer les manifestants sur les trottoirs et aux autres d'ajouter les badauds assis en terrasse de café le long du parcours. Les forces de l'ordre le concèdent volontiers, mais sous couvert d'anonymat : le décompte effectué par les fonctionnaires sur le terrain n'est pas toujours celui communiqué par la préfecture.
Pourquoi ? Parce qu'il fait l'objet de négociations entre organisateurs et pouvoir.
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